Genty Pierrot

Fiche technique
Nom originalGenty Pierrot
OrigineFrance
Année de production1973
ProductionCompagnie Philippe Genty
Nombre d'épisodes1 x 7 minutes
AuteurPhilippe Genty
Mise en scènePhilippe Genty
ManipulationPhilippe Genty
MusiquesFrançois de Roubaix, Bernard Maître
Diffusions
1ère diffusion hertzienne9 décembre 1973 (ORTF 1ère chaine - Top à... Alexis Weissenberg)
Rediffusionslundi 19 décembre 1977 (TF1 - Restez donc avec nous...)
samedi 8 juillet 1978 (TF1 - Numéro Un Jairo)
Synopsis

Pierrot, l’éternel personnage mélancolique… Un des zanni les plus célèbres de la Comedia dell Arte !

Le Pierrot de Philippe Genty nous offre un spectacle d’une intensité tragédienne soutenue, un pathos digne de son personnage célèbre pour ses errances mélancoliques teintées d’une attachante candeur.

Pierrot apparait dans la lumière, et Philippe Genty, en arrière plan, qui semble d’abord invisibilisé ou peu représenté, un personnage de second plan, en somme.

Pierrot naît sous les yeux des spectateurs. Il semble d’abord surpris d’être ici, à cet instant. Puis, il parait prendre conscience de l’espace, et de son environnement.

En levant sa tête, il découvre un humain, qui se tient perché au-dessus de lui, qui le tient et le manipule par le bout des fils ! Comme s’il n’était qu’une simple marionnette !
Pierrot essaye de l’atteindre, de le toucher.
Est-il un père ? un Maitre ? un Gepetto ?

Pierrot entend également de la musique, une mélodie douce, Pierrot commence à se mouvoir, au rythme de celle-ci.
Il se lève et se surprend lui même à danser, son corps s’agite, se met en mouvement, il suit un rythme inconscient.
Sur des airs mélancoliques soufflés par un orgue de barbarie, Pierrot lève ses pieds, tambourine en cadence, comme s’il se donnait en spectacle !

Soudain, il aperçoit des fils accolés à sa main, puis d’autres, et encore d’autres, et qui, étrangement, sont reliés à tous ses membres !
Il observe tous les fils…

Alors Pierrot se met à pleurer… En se cachant de honte.
Il semble désemparé. Et Pierrot se questionne :
N’est-il qu’un simple pantin tenu par de vulgaires bouts de ficelles ? Est-il ici simplement pour divertir un public ? Amuser la galerie ?
Ces questions qui ne semblent pas trouver de réponse paraissent troubler Pierrot jusqu’aux larmes.

Puis il sent alors la chaleur d’une main, celle de cet homme, qui, depuis tout à l’heure, reste perché au dessus de lui. Pourquoi ?
Pierrot ressent l’empathie que l’homme a pour lui, de l’affection, de l’amour ?…

Mais rien n’y fait : Pierrot sanglote, il reste inconsolable, et semble s’effondrer.

Alors : préférant la mort plutôt que l’absence de liberté, d’un geste tragique, Pierrot décide d’arracher ses fils qui l’oppressent et l’empêchent d’exister par lui-même. Refusant cette fatalité, il tire le plus fortement possible sur un fil qui soutient sa main, et celui-ci finit par céder !
Pierrot semble s’évanouir.

Au moment où il se relève, son maître (son père ?) lui tend un des fils : il lui propose de rester sa marionnette !
Pierrot refuse ! C’en est trop !
Il tire une autre ficelle, puis encore une autre… Toutes les autres !
S’écroulant un peu plus à chaque soubresaut. A cet instant, Pierrot se met à pleurer.

Courbé ; À terre, Pierrot se donne la mort sur scène, lâchant le dernier bout de ficelle qui le relie à la vie.

Pierrot reste éclairé, figé dans la lumière, mais tout seul sur scène, gisant au sol comme un pantin désarticulé.
Le spectacle est terminé.
Pierrot meurt sous les applaudissements.

Commentaires

Avant de devenir célèbre dans les années 1980/90 avec ses créations théâtrales de grandes envergures pour toucher les esprits au plus profond d'eux-mêmes, Philippe Genty, l'un des plus estimés marionnettistes français, oeuvre sur de courts numéros de marionnettes. Il travaille également sur quelques productions télévisées comme la série de documentaires Le Tour du Monde des marionnettes en 1969 dont la matière provient du tour du monde qu'il a effectué avec son ami Yves Brunier en 1962-65. Il conçoit également l'étrange série Les Onix en 1972.

En 1973, il crée le numéro Facéties / Pierrot, nommé également Un Pierrot qui cherche à se libérer ou encore plus communément Genty Pierrot, où Pierrot se meurt après avoir coupé les fils qui le lient à son géniteur et c'est ainsi, avec cet ouvrage d'une extrême sensibilité, que la Compagnie Philippe Genty connaît sa première célébrité en France, au Casino de Paris, au théâtre Bobino et à la télévision mais aussi en Europe, aux USA, en Asie et en Australie. Ce numéro sera régulièrement joué par Philippe Genty jusqu'en 1979.

Philippe Genty n'aura de cesse de réfléchir et de s'interroger sur son art, et cette oeuvre avec Pierrot en est un éclatant exemple ou le marionnettiste et sa marionnette sont autant liés l'un à l'autre.
C'est ainsi que se questionnant sur sa condition, à la recherche de la liberté, Pierrot se sent prisonnier de ses fils et esclave de son maître. Sa condition inextricable de simple pantin lui devient alors insupportable. Se pose la question de l’origine de sa naissance et du sens de son existence, et de la dualité entre la vie et la mort. La vie vaut elle d’être vécue en n’étant qu’une simple marionnette, en n’étant pas libre, en n’existant pas réellement ? Pour Pierrot, sa présence semble n’être qu’un hasard, une chimère, un rêve, une destinée qu’il refuse, refusant son essentialisme.
De même qu'en est-il de Philippe Genty lui-même et de son rapport aux marionnettes...

Ce n'était probablement pas dans l'intention du marionnettiste de faire un tel parallèle, mais La notion de liberté mise en scène dans ce numéro peut être mise également en relation avec celle de l'être humain, qui lui même, telle une marionnette, est attaché à des fils invisibles qui le maintiennent dans une certaine forme d'emprisonnement que l'on appelle tout simplement la société. Si l'on veut se libérer de ces fils qui nous conditionnent en profondeur, on prend tout simplement le risque de mourir car cette société, qui a tout de même des règles auxquels tout le monde doit se plier, n'aime pas qu'on s'en libère... c'est un peu comme Pierrot qui décide de se libérer de son marionnettiste et qui ne survit pas à cet acte puisque c'est l'homme qui le maintient dans sa verticalité.

Notons que Philippe Genty aurait créé une première ébauche de cette oeuvre en 1968 sous le titre Le Suicide de Pierrot, 1968 étant aussi l'année de création de la Compagnie Philippe Genty. Ce titre existait déjà pour une pantomime bien différente écrite en un acte en 1898 par Charles Aubert et Ernest Gillet à la musique, celle-ci mettant en scène un Pierrot, professeur de danse désirant se suicider suite à une déconvenue amoureuse mais qui, très rapidement, après avoir voulu se pendre sans succès, remarquera que son élève est une très belle femme...

Quand Philippe Genty reprend son Suicide de Pierrot en 1973 pour lui donner une forme complète (du moins si la première ébauche de 1968 a vraiment existé), il en modifie probablement certains de ses aspects, et il adjoint à la mise en scène une magnifique musique composée à cette occasion par François de Roubaix et Bernard Maître qui venaient de travailler deux ans plus tôt avec lui sur Les Onix. Il est indéniable que l'émouvante composition apporte beaucoup à ce numéro particulièrement bouleversant, François de Roubaix ayant admirablement mêlé le son de la flute (première partie avec Pierrot prenant vie) à celui du synthétiseur (deuxième partie où Pierrot prend conscience de ses liens, et troisième partie lorsqu'il s'en détache avec également le retour de la flute), le tout accompagnant la lente dépression mortelle de Pierrot.

Dans son ouvrage Paysages intérieurs (Actes Sud, 2013), Philippe Genty évoque la couleur des fils de son Pierrot, blanche, contrairement au noir adopté en général pour rendre les fils plus invisibles sur scène sur un fond sombre. Ainsi avec des fils blancs, on ne cache rien des liens entre la marionnette et son marionnettiste. Toutefois, on remarquera que lors de la représentation télévisée dans l'émission Numéro Un consacrée à Jairo le 8 juillet 1978, Philippe Genty utilise des fils noirs. Ceux-ci sont tout de même bien visibles avec les éclairages du plateau de télévision et ils se remarquent sur la blancheur immaculée du personnage.

Notons encore qu'en 1962, donc quelques années avant que Philippe Genty ne crée son numéro avec Pierrot, le marionnettiste Louis Valdes (1922-1965) mettait en scène, notamment en 1963 et 1964 dans La Piste aux étoiles de Gilles Margaritis sur l'ORTF, un Pierrot dans un numéro qui a très certainement inspiré Philippe Genty (bien que ce dernier faisait alors son tour du monde des marionnettes). Comme Philippe Genty le fera avec son Pierrot, Louis Valdes manipulait sa marionnette à fil à la vue des spectateurs (il est d'ailleurs l'un des premiers marionnettistes à adopter cette technique où marionnette et manipulateur sont visibles ensemble). De plus, son numéro est accompagné par la musique du célèbre Adagio d'Albinoni (composé en fait par Remo Giazotto en 1958) qui est d'une grande tristesse, ce que sera également le numéro de Philippe Genty avec la musique de François de Roubaix. Si le Pierrot de Louis Valdes ne s'ôte pas la vie comme celui de Philippe Genty, il enlève tout de même le masque de son visage souriant pour un autre sans expression, tout en considérant avec inquiétude qu'il est relié à un homme qui le manipule.

En 1978, les Barocco reprendront à leur manière le Pierrot de Philippe Genty mais avec la musique utilisée par Louis Valdes ! Plus récemment, c'est le marionnettiste russe Nikolaï Zykov, très influencé par l'artiste français, qui dans le même numéro reprend à la fois le Pierrot de Valdes qui ôte le masque de son visage souriant pour ne laisser que celui de la tristesse, et le Pierrot de Genty qui arrache les fils qui le tiennent, et cela sur la magnifique musique de La Petite Fille de la mer de Vangelis.

Pierrot, ce personnage de valet, né vers 1670 dans la troupe de la Comédie-Italienne alors installée à Paris, fut interprété au fil des siècles par de nombreux comédiens et mimes jusqu'au célèbre Jean-Gaspard Deburau (1796-1846), dit « Baptiste », et dont Jean-Louis Barrault jouera le rôle dans le film Les Enfants du paradis (1945) réalisé par Marcel Carné et écrit par Jacques Prévert. Quant à sa première apparition cinématographique, elle date du tout début de cet art, en 1892 avec le court-métrage d'animation Pauvre Pierrot d'Emile Reynaud.

Mais qu'en est-il de sa naissance dans le théâtre de marionnettes ? Il est probable qu'elle a suivi peu après la création du personnage, au 17ème siècle. Toutefois, la marionnette de Pierrot s'impose vraiment au 19ème siècle. On peut ainsi noter la présence de Pierrot dans le théâtre de marionnettes dans les pièces Polichinelle précepteur, La Tragédie d'Arlequin, La malle de Berlingue, L'Homme au cabriolet, Pierrot et le pâtissier, Le Mariage de raison ou encore Polichinelle retiré du monde de Louis-Émile-Edmond Duranty en 1862 (que l'on peut lire dans le recueil Théâtre des marionnettes du Jardin des Tuileries), ou parmi d'autres encore Pierrot pendu de Lemercier de Neuville en 1898.

Maurice Sand, fils de la célèbre écrivaine George Sand, fut peintre (élève de Delacroix) et marionnettiste, spécialisé dans les marionnettes à gaine dont il sculptait les têtes dans du bois de tilleul (comme pour les traditionnels Guignol). Sur toute sa carrière, il fabriqua environ 125 marionnettes à gaine et 12 à jambes et Pierrot fut parmi les premiers personnages qu'il confectionna vers 1847 avec Colombine, Cassandre, Arlequin ou Polichinelle de cette même Comedia dell' Arte.

Le Pierrot de Philippe Genty aura eu la particularité d'appartenir si on peut le dire ainsi à deux sortes de marionnettes qui sont celles du théâtre et celles de la télévision puisque ce numéro joué sur scène sera accueilli également sur plusieurs plateaux de télévision de 1973 à 1979. A cette époque, et depuis la naissance de la télévision, les marionnettes étaient très présentes sur le petit écran français (et en général dans bien des télévisions du monde comme aux Etats-Unis, en Allemagne ou au Japon). Hélas, petit à petit, elles ont disparu de ce média en France et c'est ainsi un des aspects de cet art qui est devenu depuis, à quelques exceptions, invisible à la jeunesse... La télévision a cette tendance à couper bien trop facilement des fils...

Les images illustrant cette fiche sont extraites de l'émission Numéro Un consacrée à Jairo et diffusée le samedi 8 juillet 1978 sur TF1.

Auteurs : Laurice
Captain Jack
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Genty Pierrot © Philippe Genty / Compagnie Philippe Genty
Fiche publiée le 15 septembre 2025 - Lue 99 fois